Au cœur du village le plus reculé du monde
À l’embouchure Nord du fjord Scoresby Sund, sur la côte Est du Groenland, se trouve un lieu singulier, un village créé il y a à peine cent ans : Ittoqqortoormiit. Ce nom difficile à prononcer résonne comme une invitation au voyage, un appel à découvrir l’un des endroits les plus reculés de la planète. Avec moins de 400 habitants et environ 35 000 visiteurs étrangers annuels. Loin des sentiers battus,Ittoqqortoormiit est une destination unique, particulièrement difficile d’accès pendant la saison froide mais sa beauté et son authenticité en valent largement la peine. C’est dans ce cadre hors du temps que j’ai rencontré Åge Pike Barselajsen, un homme de 35 ans, plein d’ambition et de projets pour son village et sa famille. Malgré les défis de la vie dans un endroit aussi isolé, Åge incarne l’esprit de résilience et de détermination qui caractérise les habitants d’Ittoqqortoormiit.
La vie à Ittoqqortoormiit est simple mais difficile. Le village ne dispose pas de docteur, seulement de deux infirmières capables de prodiguer les premiers soins. Pour des soins plus importants, il faut prendre un vol vers la ville de Nerlerit ou Reykjavik en Islande. Åge a vu sa grand-mère déménager à Nuuk, la capitale, cette année en raison de sa maladie.
Åge a grandi dans une fratrie de huit enfants, dont il est le quatrième. Aujourd’hui, ils ne sont plus que trois à vivre encore à Ittoqqortoormiit, les autres ayant déménagé à Nuuk. Ils ne se voient plus qu’à travers des appels vidéo, une réalité qui montre à quel point la technologie a transformé même les coins les plus reculés du globe.
Enfant, Åge appelait le village « une ville ». Il allait en classe le matin et, entre 14h et 17h, il pratiquait des activités physiques comme la gymnastique, le football, le ping-pong ou le badminton. En hiver, le ski s’ajoutait à la liste. Il se souvient d’une époque où la neige atteignait jusqu’à six mètres après deux ou trois jours de tempêtes. Aujourd’hui, les chutes de neige sont moins abondantes, atteignant au maximum deux à trois mètres.
L’ambition de bâtir
L’histoire d’Åge est marquée par un profond désir de transformation. Avec son meilleur ami, Aqqalu, qui est aussi le frère de sa femme, ils ont rêvé de routes dans un village qui en était dépourvu. « Nous marchions beaucoup, et nous nous sommes dit que ce serait mieux d’avoir des routes ! », dit-il en souriant. De fil en aiguille, ils ont appris à conduire des voitures puis des engins de travaux publics, devenant aussi mécaniciens autodidactes en regardant des vidéos sur YouTube.
Aujourd’hui, Åge et Aqqalu travaillent pour la société d’engins de travaux publics du beau-père d’Åge. Celui-ci prévoit de céder son activité à sa fille, Mette, et à son fils. Åge et sa femme Mette gèrent la Guest House du village. Mette travaille aussi à l’agence de tourisme depuis près de dix ans.

Une famille unie et ambitieuse
Åge a rencontré sa femme, Mette, lorsqu’il était jeune. Après s’être perdus de vue pendant plusieurs années, ils se sont retrouvés lorsque Mette est revenue à Ittoqqortoormiit avec ses deux enfants. Depuis, leur famille s’est agrandie. Leur fille aînée est actuellement au collège à Nuuk. Leur deuxième fille vit toujours à la maison, avec son frère Brian, 14 ans, et Dina, 11 ans. Mette travaille à l’agence de tourisme du village et gère également la Guest House familiale.
Brian rêve de devenir pilote d’hélicoptère. Åge prévoit de l’envoyer en Angleterre en 2026 pour apprendre l’anglais, puis en Afrique ou en Australie pour obtenir sa licence de pilote à moindre coût. Åge est fier de voir l’évolution des aspirations de son fils, passant du rêve de devenir chasseur à celui de pilote d’hélicoptère. Il fait tout pour soutenir les ambitions de ses enfants, espérant leur offrir ce qu’il n’a pas eu, son propre père étant décédé lorsqu’il avait trois ans.
Un projet pour l'avenir
Pour empêcher ses enfants de quitter le village, Åge a un projet ambitieux : monter une compagnie d’hélicoptères pour organiser des visites des fjords et des descentes en ski, une pratique sportive connue sous le nom d’héliski; « L’idée est d’emmener les gens sur les sommets en hélicoptère pour qu’ils puissent skier jusqu’à la base. C’est un projet excitant et je suis déterminé à le réaliser.». Ce projet promet de transformer Ittoqqortoormiit en une destination encore plus attractive pour les aventuriers du monde entier.
La préservation de la culture
Malgré les changements et les influences extérieures, les habitants d’Ittoqqortoormiit tiennent à préserver leur culture. Ils portent des vêtements traditionnels lors des grandes occasions comme les mariages, les communions et le premier jour de la rentrée. Le gouvernement soutient cette préservation culturelle, notamment en aidant à la fabrication de vêtements en peau de phoque.
Ittoqqortoormiit est un lieu où le passé rencontre le présent, où la tradition se mêle à la modernité. Ce village reculé du Groenland avec ses paysages époustouflants est plus qu’une destination touristique ; c’est un témoignage vivant de la résilience humaine et de l’aspiration à un avenir meilleur, incarné par des personnes comme Åge Pike Barselajsen. En visitant Ittoqqortoormiit, on ne découvre pas seulement un lieu unique, mais aussi des histoires de vie, des rêves et des ambitions qui résonnent au-delà des frontières de l’Arctique.